Affaire Gilles Tautin

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Gilles Tautin
Image illustrative de l’article Affaire Gilles Tautin

Naissance
Décès (à 17 ans)
Flins-sur-Seine
Origine Français
Cause défendue Maoïsme

Gilles Tautin, né le et mort le à Flins-sur-Seine, est un lycéen, militant maoïste du Mouvement de soutien aux luttes du peuple et membre de l'Union des jeunesses communistes marxistes-léninistes[1].

Le , vers 16 h 30, âgé de 17 ans, élève de première C au lycée Stéphane-Mallarmé[2], il meurt noyé dans la Seine en tentant d'échapper à une charge de gendarmes mobiles, aux abords de l'usine Renault de Flins. Il est inhumé à Paris dans le cimetière des Batignolles (29e division).

Les faits[modifier | modifier le code]

Dans le sillage des événements de Mai 68, début juin, les affrontements violents entre étudiants et forces de l'ordre se déplacent du quartier latin vers les grandes concentrations ouvrières[3].

Le , les ouvriers de l'usine Renault de Flins refusent de reprendre le travail malgré l'intervention de la gendarmerie. Ils sont soutenus par des étudiants venus de Paris[4].

Le lundi , les maoïstes de l'UJCML et les libertaires du Mouvement du 22 mars organisent une marche sur Flins en soutien aux grévistes. De violents affrontements ont lieu avec les Gardes mobiles et les CRS[5].

« Le [6], dans un champ près de Meulan, en voyant arriver vers eux une dizaine de gendarmes mobiles, un petit groupe de jeunes maoïstes s'enfuient en traversant la Seine à la nage. L'un d'eux, Gilles Tautin, un lycéen de 17 ans, est emporté par le courant. Sa mort est très vite attribuée aux forces de police. Gilles Tautin devient un héros et martyr de mai-juin[7]. »

— Jean-Pierre Le Goff, Mai 68. L’héritage impossible, 1998.

Le , précédés d'une pancarte qui porte l'inscription « Mallarmé en deuil », un millier de personnes, dont des élèves et professeurs du lycée, participent à une marche silencieuse à travers les rues parisiennes[8],[9].

Un communiqué de presse est publié au nom du lycée qu'il fréquente : « Il n'a jamais agi de façon irréfléchie, au contraire ; parmi ses camarades, il était le plus mûr, le plus apte à la discussion raisonnée [...]. S'il s'est engagé dans l'action, ce n'est donc pas par une attitude moutonnière, mais par conviction personnelle[10]. »

Le [11], précédé d'un portrait géant[12] réalisé par des étudiants des Beaux-Arts porté par deux ouvriers de Flins[13] et accompagné par quatre à cinq mille personnes, en manifestation silencieuse et sans banderoles[14], Gilles Tautin est enterré au cimetière des Batignolles à Paris, où sont entonnés Le Chant des survivants et Le Chant des Martyrs[15].

Une mort dont les circonstances sont controversées[modifier | modifier le code]

Les circonstances de la noyade de Gilles Tautin demeurent controversées. Deux versions des faits sont contradictoires. L'une, en effet, engage la responsabilité des forces de l'ordre en leur faisant jouer un rôle déterminant et en allant jusqu'à leur attribuer une volonté homicide.

Selon les autorités, dans un communiqué officiel, les jeunes auraient choisi de se jeter volontairement à l'eau sans qu'un danger précis les menace. Leur attitude s'expliquerait par le climat qui, depuis plusieurs jours, s'est installé dans les environs de Flins, où les contrôles n'ont cessé d'alterner avec les poursuites et les chasses à l'homme[16].

Du côté des étudiants, selon le bureau de presse de l'Union nationale des étudiants de France réunissant des récits de témoins qui assistent à la scène du haut du pont de Meulan, le groupe de jeunes a été chargé par des gendarmes. Comme ils ne connaissent pas les lieux, ils se sont trouvés bloqués sur une berge. C'est alors, qu'ils auraient été frappés par les policiers, poussés à l'eau par ceux-ci qui s'employèrent à les empêcher de reprendre pied et de regagner la rive[17].

Selon cette version, le groupe de jeunes, dont Gilles Tautin, « après une course-poursuite avec les forces de l'ordre »[18] ont été matraqués avant de se jeter dans la Seine[19].

Selon un témoignage publié en 1998 dans Le Parisien : « L'aumônier des jeunes chrétiens, le vicaire Brousse, a témoigné qu'on l'avait empêché de reprendre pied sur terre[20]. »

Pour le journal La Cause du peuple : « Notre jeune camarade Gilles Tautin a été assassiné[21]. »

Les 10-11 et 11- 1968[22], l'annonce de la mort de Gilles Tautin déclenche les deux dernières nuits d'émeutes et de barricades[23] : de violents affrontements opposent forces de l'ordre et étudiants au quartier latin[24].

Le , pour commémorer « l'assassinat », un an auparavant, de leur camarade, Gilles Tautin, « jeté dans la Seine à Flins », plus d'une centaine de militants de la Gauche prolétarienne, conduits par Olivier Rolin[25] (parmi eux, notamment, Jean-Claude Milner[26]), entrent en force dans l'usine Renault de Flins, et s'affrontent violemment avec la maîtrise. La police arrête Judith Miller, Nicole Linhart, Kostas Mavrakis et Roland Geggenbach, qui sont ensuite relâchés[5].

Selon l'historienne Geneviève Dreyfus-Armand, les maoïstes l'utilisent comme « martyr » de leur cause[27].

Contexte[modifier | modifier le code]

Le , à l'usine Peugeot de Sochaux, les C.R.S. tuent Pierre Beylot, ouvrier-serrurier, d’une balle de neuf millimètres. On relève un autre ouvrier, Henri Blanchet, qui s’est tué en tombant d’un mur[28].

Le lendemain de la mort de Gilles Tautin, l'Union des jeunesses communistes marxistes-léninistes est interdite par décret du Président de la République.

Hommage[modifier | modifier le code]

Pour Jean-Claude Milner, « la figure de Gilles Tautin demeure ineffaçable ; sa mort, en juin 68, marque la fin d'un monde de quelques jours, où la jeunesse voulut agir en immortelle. De Mai, on ne passe pas, on ne peut pas passer, sans une rupture absolue, à la mort d'homme. Au cours des années de plomb, le souvenir de Mai a pu être évoqué ; mais les années de plomb, en elles-mêmes, en sont la négation la plus radicale[29]. »

Postérité[modifier | modifier le code]

En 1969, Armand Gatti fait de Gilles Tautin (« le » mort de mai[30]) le personnage central de sa pièce Interdit aux plus de trente ans. Le lycéen, sur la Place des Appels, pose la question : « Don Quichotte, qu'est-ce que c'est pour vous ? »[31],[32].

Au début des années 1970, des militants de la Gauche prolétarienne[33] (auto-dissoute le ) créent l'Imprimerie (4, passage Dieu à Paris)[34],[35] et les Éditions Gilles Tautin, qui prennent notamment en charge les publications du Mouvement de la gauche révolutionnaire chilien en exil[36],[37].

En 2004, le poète français Jean-Marie Gleize, dans Néon, actes et légendes, met en scène des morts dont celle de Gilles Tautin, « poussé dans la Seine le lundi  »[38].

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

Notices sur l'imprimerie et les éditions Gilles Tautin

Audiovisuel[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Christian Charrière, Le Printemps des enragés, Fayard, 1968, page 378.
  2. Dictionnaire des anarchistes, « Le Maitron » : BIDAUX Michel, Henri. Pseudonyme : Gautier.
  3. Bernard Brillant, Les clercs de 68, Presses Universitaires de France, 2003, page 387.
  4. "Chasse à courre" près de Flins..., Le Monde, 19 juin 1968, lire en ligne.
  5. a et b Christian Beuvain, Florent Schoumacher, Chronologie des maoïsmes en France, des années 1930 à 2010, revue électronique Dissidences, n°3, printemps 2012, texte intégral.
  6. Charles Tilly, La France conteste : De 1600 à nos jours, Fayard, 1986, lire en ligne.
  7. Jean-Pierre Le Goff, Mai 68. L’héritage impossible, La Découverte, 1998, lire en ligne.
  8. Marche silencieuse à travers Paris, Le Monde, 13 juin 1968, lire en ligne.
  9. Monique Suzzoni, Chronologie générale, Matériaux pour l'histoire de notre temps, 1988, n°11-13, Mai-68 : Les mouvements étudiants en France et dans le monde, pp. 284-303, page 300.
  10. Consternation au lycée Stéphane-Mallarmé, Le Monde, 12 juin 1968, lire en ligne.
  11. Bruno Barbey, Demonstrators on the day of Gilles Tautin's funeral, a student who drowned during a police raid in Flins sur Seine (Yvelines), Magnum Photos, Paris, June 15th 1968, voir en ligne.
  12. Bruno Barbey, Paris. May 68. Funeral of the student, Gilles TAUTIN, who pursued by the police, drowned in the Seine, Magnum Photos, 15 juin 1968, voir en ligne.
  13. Kristin Ross, Mai 68 et ses vies ultérieures, Éditions Complexes, page 70.
  14. Un cortège silencieux est organisé pour l'enterrement du lycéen Gilles Tautin, Le Monde, 17 juin 1968, lire en ligne.
  15. Plusieurs milliers de personnes ont assisté aux obsèques du lycéen Gilles Tautin, Le Monde, 18 juin 1968, lire en ligne.
  16. Les gendarmes n'ont pas touché les jeunes gens mais les ont-ils chargés ?, Le Monde, 13 juin 1968, lire en ligne.
  17. 10 juin 1968, la noyade d'un lycéen près de Flins (Yvelines), Le Monde, 22 mai 2008, lire en ligne.
  18. Chabrun Laurent, Dupuis Jérôme, Pontaut Jean-Marie, Mai 68 Les archives secrètes de la police, L'Express, 19 mars 1998, lire en ligne.
  19. (en) Gerd-Rainer Horn, Padraic Kenney, Transnational Moments of Change: Europe 1945, 1968, 1989, Rowman & Littlefield, 2004, page 87.
  20. J.S., Gilles Tautin a-t-il été poussé ?, Le Parisien, 11 juin 1998, lire en ligne.
  21. Maurice Tournier, Les mots de mai 68, Presses universitaires du Mirail-Toulouse, Toulouse, 2008, page 71.
  22. Philippe Godard, Mai 68 : Soyons réalistes, demandons l'impossible, Syros, 2008, page 19.
  23. Madeleine Singer, Histoire du SGEN, 1937-1970. Le Syndicat général de l'Éducation nationale, Presses universitaires de Lille, 1987, page 502.
  24. Gérard Mauger, Claude Poliak, Des ouvriers au quartier latin ?, Savoir/Agir n° 6, 4/2008, p. 59-66, texte intégral.
  25. Hervé Hamon, Patrick Rotman, Génération, T.2 Les années de poudre, Paris, Le Seuil, 1988, page 83.
  26. Jacques-David Ebguy, Jean-Claude Milner, ou L’Impossible héritier, Labyrinthe, 32-2009, texte intégral.
  27. Geneviève Dreyfus-Armand, Les Années 68 : le temps de la contestation, Complexe/IHTP, 2000, page 41.
  28. Properce, Tombeau pour Pierre Overney, Le passé impénitent, 6 août 2006, texte intégral.
  29. Jean-Claude Milner, L'arrogance du présent. Regards sur une décennie, 1965-1975, Paris, Grasset, 2009, lire en ligne.
  30. Armand Gatti, Œuvres théâtrales, vol. II, Verdier, 1991, page 409.
  31. Collectif, « Catalogues de l'exposition "Comme un papier tue-mouches dans une maison de vacances fermée" », sur armand-gatti.org, 2008).
  32. (en) Dorothy Knowles, Armand Gatti in the Theatre: Wild Duck Against the Wind, Continuum International Publishing Group Ltd., 1989, page 199.
  33. Dictionnaire des anarchistes, « Le Maitron » : Jean Turrel dit Petit Jean.
  34. Nathalie Des Gayets, Des imprimeries "différentes", Le Monde, 8 décembre 1980, lire en ligne.
  35. La ville à l'an vert, Paris (4, passage Dieu), Imprimerie Gilles Tautin, 1976, (BNF 43447279).
  36. Bulletin du Movimiento de Izquierda revolucionaria, Paris, Éditions Gilles Tautin, 1974, (BNF 34376308).
  37. Bulletin du Movimiento de Izquierda revolucionaria, Paris, Éditions Gilles Tautin, 1974, Sudoc.
  38. Entretien réalisé par Millet Claude, Les lauriers sont coupés, Vacarme, n°30, 1/2005, pp. 107-110, texte intégral.